Gedenkstätte Riehen. Foto/Photo: TES

Die Eiserne Hand et le mémorial commémoratif de Riehen

Les frontières tortueuses de la Suisse d’aujourd’hui, avec leurs nombreux tours et détours et même quelques enclaves étrangères, sont le résultat de la nature, de la politique et parfois du hasard.

Les frontières des 26 cantons présentent généralement la même configuration. Dans plusieurs cantons, il y a même des enclaves d’autres cantons et, parfois, la frontière ressemble davantage à un collage de cantons.

Collection: Dreiländermuseum Lörrach

Depuis 1803, le Haut-Rhin (et le lac de Constance) constitue la frontière naturelle entre la Confédération suisse, sur la rive gauche du Rhin, et l’Allemagne, (Grand-Duché de) Bade et (Royaume de) Wurtemberg, Bundesland Baden-Wurtemberg depuis 1947.

Cette frontière fluviale comporte toutefois des exceptions : le canton de Schaffhouse se trouve en grande partie sur la rive droite du Rhin, le canton de Zurich s’étend également sur plusieurs kilomètres carrés le long de la rive droite.

Mais c’est le canton de Bâle-Ville qui présente l’aspect suisse le plus frappant sur la rive droite du Rhin. Celui-ci se compose de trois communes : Bâle, Riehen et Bettingen. Riehen et Bettingen se trouvent sur la rive droite, mais une partie de Bâle (le Petit-Bâle) se trouve également du côté « allemand », la Badische Bahnhof de la Deutsche Bahn (DB) dans le Petit-Bâle étant en outre un territoire allemand en Suisse.

Aujourd’hui, cela ne constitue pas un obstacle pour le trafic de personnes. Cependant, au cours de la période 1933-1945, et plus particulièrement à partir de 1938, elle a représenté pour beaucoup de réfugiés une frontière entre la vie et la mort, entre la liberté et la dictature.

Die Eiserne Hand aujourd’hui

1933 – 1945

La prise de pouvoir par les nazis, le 30 janvier 1933, a entraîné dès le début la terreur et la persécution des opposants politiques et des citoyens juifs. Après le pogrom du 9 novembre 1938 (Nuit de Cristal) et jusqu’à l’occupation et la capitulation de l’Allemagne en 1945, des milliers de civils juifs, de réfugiés des territoires occupés, de soldats alliés et de travailleurs forcés ont traversé cette frontière suisse sur la rive droite du Rhin.

Bien que la campagne allemande contre les Pays-Bas, la Belgique, le Luxembourg et la France en mai 1940 n’ait pas débouché sur une invasion allemande de la Suisse, les plans étaient là (opération Tannenbaum).

La capitulation rapide de la France a peut-être empêché cette invasion. Pour l’Allemagne (et l’Italie), les coûts ne l’emportaient plus sur les avantages d’un pays voisin neutre, doté d’importantes voies de communication et d’une industrie (d’armement et financière) qui ne pouvait pas être bombardée.

Collection: Gedenkstätte Riehen

Toutefois, la crainte permanente d’une invasion allemande (voir aussi l’occupation allemande de l’Italie en 1943 et de la Hongrie en 1944) a dominé la vie quotidienne et politique dans le canton de Bâle-Ville et en Suisse.

Quoi qu’il en soit, à partir du 10 mai 1940, la frontière sur la rive droite du Rhin fut et resta hermétiquement fermée par des barrages et des patrouilles. Pour de nombreux habitants, cela mit fin à des siècles de contacts et de relations sociales et économiques, ainsi qu’à des liens familiaux.

En outre, de nombreux Allemands (déjà à l’époque) vivaient ou travaillaient dans ce canton et soutenaient le nouveau régime. Cependant, la grande majorité des citoyens suisses n’appréciait pas le « Hilter-Zeug », ce qui entraîna des tensions avec l’importante communauté allemande.

Collection: Gedenkstätte Riehen

Les réfugiés

La peur permanente de l’Allemagne, les problèmes économiques, le chômage, la pauvreté d’une partie de la population et un sentiment d’antisémitisme ont causé des tragédies pour de nombreux réfugiés (juifs).

A partir de 1940, la Suisse fut une oasis démocratique et multiculturelle entourée de régimes impitoyables. Hitler avait qualifié la Suisse d’« Ungeheuer » et le terme « Heim ins Reich » s’appliquait également à la Suisse alémanique. Mussolini avait en tête les régions italophones de la Suisse (l’irrédentisme). Concessions, compromis et coopération avec ces dictateurs étaient une question de survie pour le petit pays au milieu d’un désert de milliers de kilomètres de dictature.

Collection: Gedenkstätte Riehen

Les détails de l’attitude officielle de la Suisse à l’égard des réfugiés juifs et autres sont bien décrits et connus (voir, entre autres, le rapport Bergier-Kommisson du 22 avril 2022). Le président de la Confédération Kaspar Villiger avait déjà bien résumé cette attitude au nom du gouvernement suisse dans une déclaration du 9 mai 1995 :

Nous ne pouvons ignorer le fait que la Suisse, elle aussi, a commis des erreurs. Il y a lieu de se demander si l’on n’entendait pas, à certains moments et par zèle, se montrer complaisant envers cet encombrant voisin. Mais qui sait aujourd’hui comment il aurait lui-même agi, conscient que sa démarche aurait pu entraîner la Suisse dans l’abîme ?

 A l’heure actuelle, il y a un sujet que les « circonstances extérieures » qui prévalaient à l’époque ne nous permettent pas de justifier. Il s’agit en substance des nombreux Juifs qu’attendait une mort certaine après qu’ils furent refoulés à la frontière suisse.

 Il est pour moi hors de doute que la politique pratiquée par le peuple et par le Parlement à l’égard des Juifs nous fait porter une grande part de responsabilité. De pénibles conflits d’intérêts, dans le sillage de peurs démesurées, furent aussi réglés au détriment de l’humanité.

 Le Conseil fédéral regrette profondément cette erreur et tient à s’en excuser, tout en restant conscient que pareille aberration est en dernier lieu inexcusable“.

Collection: Gedenkstätte Riehen

Die Eiserne Hand de Riehen

La tragédie des réfugiés juifs en particulier s’est jouée à tous les postes frontières suisses, au Tessin, à Genève, à Saint-Gall, à Schaffhouse, aux Grisons et dans d’autres cantons frontaliers. Cependant, la situation sur la rive droite du Rhin, dans le canton de Bâle-Ville, était exceptionnelle.

Tout d’abord, il y avait les liaisons ferroviaires vers la Badische Bahnhof à travers le territoire suisse (Wiesentalbahn), de Weil am Rhein à Grenzach en passant par Kleinbasel et de St-Louis à la gare française de Bâle. Les réfugiés utilisaient parfois ces trains pour en sauter sur le territoire suisse.

Cependant, la principale voie d’évasion était l’Eiserne Hand, dans la commune de Riehen. Il s’agit d’une bande d’environ 2 kilomètres de long et 300 mètres de large qui s’étend comme une main (ou un doigt) vers l’Allemagne.

Les Allemands avaient cessé d’entourer cette zone de barbelés et d’autres barricades, faute de matériel, et le gouvernement suisse refusait de le faire, malgré les exhortations allemandes. Des milliers de réfugiés atteignirent cette frontière, malgré de nombreuses patrouilles. La ferme de Maienbühl fut souvent la première adresse d’accueil où un abri hospitalier fut proposé.

Maienbühl aujourd’hui

Cependant, les réfugiés devaient se présenter à la police des frontières et les procédures bureaucratiques avec les autorités commençaient alors. Selon le gouvernement fédéral, les réfugiés juifs n’étaient pas des réfugiés politiques et devaient donc être renvoyés. La frontière de l’espoir et de la vie devint alors une frontière de la déception et de la mort.

La plupart des citoyens considèraient la politique d’asile telle qu’elle était appliquée comme allant de soi. Cependant, une minorité d’organisations, d’églises, de fonctionnaires, de gardes-frontières et de politiciens se sont opposés à la politique du gouvernement fédéral et ont aidé les réfugiés à obtenir un abri et des papiers.

Si certains gardes-frontières n’ont pas renvoyé les réfugiés, la grande majorité d’entre eux ont rempli leurs obligations bureaucratiques, bien que souvent, comme en témoignent les archives, avec beaucoup de réticence.

À la borne frontière 51, de nombreux réfugiés ont été repoussés au-delà de la frontière allemande, mais pour beaucoup d’autres, cela signifiait la liberté et la vie. Collection : Gedenkstätte Riehen

Le gouvernement du canton de Bâle-Ville n’était pas non plus d’accord avec la politique du gouvernement et a utilisé sa liberté cantonale pour accorder malgré tout des permis de séjour au plus grand nombre possible de réfugiés. Cela dit, pour beaucoup, l’Eiserne Hand ne fut pas d’un grand secours.

Le mémorial commémoratif de Riehen (Gedenkstätte Riehen)

La commune de Riehen donne un visage et parfois même une voix à cette histoire, et surtout aux récits des réfugiés, sauvés ou rejetés. Un centre de documentation, de nombreux témoignages personnels de gardes-frontières, d’habitants, de bénévoles, de politiciens et de journalistes mettent cette tragédie en perspective.

Ce lieu ne juge pas. En revanche, le témoignage de Kaspar Villiger y figure en bonne place, aux côtés de certains citoyens, fonctionnaires et politiciens qui n’ont pas suivi la politique du gouvernement fédéral.

Collection: Gedenkstätte Riehen

La Suisse n’est pas le seul pays rattrapé par ce passé. Il est facile de juger et surtout de condamner avec le recul. Il est impossible de prédire, en temps de paix et dans une démocratie, qui seront les vrais héros au moment opportun. Il en va de même aujourd’hui pour les nombreux activistes dans divers domaines.

En tout cas, il n’est pas vrai que la Suisse ait échoué en tant que nation face aux agresseurs allemands et italiens. Le pays n’avait pas le choix et a résisté à ces dictatures au mieux de ses capacités et de ses moyens.

L’Eiserne Hand est avant tout un lieu qui symbolise des attitudes morales, politiques et (in)humaines à une époque (in)humaine. Le mémorial est un lieu de réflexion (personnelle).

Image: Gedenkstätte Johann George Elser, Königsbronn

Enfin, du côté allemand, certains, peu nombreux, ont également risqué leur vie pour aider les Juifs et d’autres réfugiés. Cependant, une personne en particulier mérite d’être mentionnée. Johann Georg Elser (1903-1945), un charpentier de Koningsbrönn, a commis un attentat manqué contre le Führer à Munich le 8 novembre 1939. Il fut ensuite arrêté près de Constance, à la frontière suisse.

Révision: Lars Kophal (Neuchâtel), rédacteur et journaliste 

Impressions de l’Eiserne Hand 

La borne frontière 60 de l’ Eiserne Hand. Collection: Dreiländermuseum Lörrach

Impressions du mémorial commémoratif

Impressions de la région

Inzlingen (Allemagne)