Une petite histoire de la Constitution suisse
5 mars 2022
1513
En 1513, l’ancienne Confédération suisse (Eidgenossenschaft) des XIII cantons – Appenzell, Bâle, Berne, Fribourg, Glaris, Lucerne, Schaffhouse, Schwytz, Soleure, Unterwald, Uri, Zoug et Zurich – n’avait pas encore une Constitution liant tous les cantons.
La Confédération suisse fut fondée sur des traités mutuels conclus entre un ou plusieurs cantons au cours des siècles.
Les premiers traités, entre ce qui s’appellera trois siècles plus tard les cantons, remontent au XIIIème siècle avant même la date officielle de la fondation de la Confédération helvétique en 1291.
Dès le début, la Confédération suisse fut issue d’un processus de construction de l’Etat ascendant (bottom-up). Jusqu’en 1513, de plus en plus de villes s’y sont jointes en raison d’intérêts économiques, militaires et politiques communs.
Un moment important a été la conquête de l’Argovie en 1415. Les cantons décidèrent de gouverner ensemble (Gemeine Herrschaft) la région conquise, alors territoire sujet (Untertanengebiet). A cet effet a été créée la Diète fédérale (Tagsatzung), l’assemblée des députés des cantons suisses.
En 1460, la Thurgovie fut également acquise ce qui signifia l’entrée d’un autre pays sujet dans la Confédération suisse. Les guerres de Bourgogne (1474-1477), l’annexion de la haute vallée du Tessin depuis le massif du Saint-Gothard jusqu’à la ville de Biasca (1512) et la conquête du Pays de Vaud par les Bernois (1536) amenèrent encore plus de pays sujets au sein de l’administration commune.
La guerre de Souabe (ou la guerre suisse ou la guerre d’Engadine) de 1499 conduisit jusqu’en 1513 à l’expansion de la Confédération suisse avec cinq nouveaux cantons.
De plus en plus de régions et de villes se joignirent à l’ancienne Confédération suisse en tant qu’alliées (Verbündete) ou en tant que villes liées à la Confédération (zugewandte Orte), Saint-Gall et la république des trois Ligues, plus tard ce furent les Grisons. En faisaient partie le Valais, Genève, Neuchâtel, mais aussi des villes se trouvant en Allemagne et en France (par exemple, Rottweil, Besançon, Mulhouse, Strasbourg, Colmar).
Jusqu’en 1515 (bataille de Marignan) la Confédération suisse était une nation dont le rayonnement économique, culturel, politique et militaire était prééminent en Europe centrale sans unité politique ni Constitution.
Cependant, la Confédération suisse survécut à la Réforme, ce qui démontra le lien fort qui unissait les cantons malgré le niveau et l’intensité des conflits religieux et des différences autres.
La Confédération sans Constitution subsista principalement grâce aux constitutions locales des cantons, aux intérêts partagés et à la sagesse des élites.
A Zurich, par exemple, le réformateur Ulrich Zwingli (1484-1531) fut entendu, avant d’être brûlé, par le Conseil de la ville qu’il parvint à convaincre d’introduire la réforme et Zurich devint une ville protestante en 1525.
En 1597, Appenzell rejoignit l’ancienne Confédération suisse. Le canton fut divisé pour des raisons religieuses en deux demi-cantons : Appenzell Rhodes-Extérieures, partie protestante et Appenzell Rhodes-Intérieures, partie catholique, à la suite d’une landsgemeinde extraordinaire pour les Rhodes-Extérieures et d’une décision de l’assemblée de la paroisse pour les Rhodes-Intérieures. La ville protestante de Berne resta l’alliée des villes catholiques de Soleure et de Fribourg.
1798-1813
Jusqu’en 1798, la Confédération suisse fonctionna sans Constitution.
De 1798 à 1803, la République helvétique fut un État unitaire – tous les citoyens étaient soumis au même et unique pouvoir – doté d’une constitution selon le modèle français et les principes d’unité, d’égalité de droit et de fraternité.
Cependant, les cantons n’avaient plus d’indépendance dans l’Etat unitaire, mais étaient de simples unités administratives. Pour autant les cantons suisses ne s’inscrivirent pas dans le carcan d’un Etat unitaire.
Le 19 février 1803, la nouvelle constitution de la Suisse attribuée par l’Acte de Médiation, instaura une nouvelle Confédération de dix-neuf cantons indépendants avec en plus Thurgovie, Argovie, Vaud, Tessin, Saint-Gall et les Grisons.
Le gouvernement fédéral n’avait pratiquement aucun pouvoir, hormis la politique étrangère, placée toutefois sous le contrôle de la France.
1813-1848
Après la défaite de Napoléon à Waterloo, la Confédération des XXII cantons, fut créée le 7 août 1815 – en plus Genève, Neuchâtel et le Valais – avec à la clé la signature d’un pacte fédéral. Cela fut l’une des étapes de formation de la Confédération suisse.
Les cantons étant encore des Etats souverains pourvus de leur propre Constitution, le pouvoir du gouvernement fédéral était toujours restreint.
1815-1848 fut une période importante. La plupart des cantons reprirent les anciennes structures oligarchiques, par lesquelles le pouvoir appartient à une classe restreinte et privilégiée. Cependant, les idéaux de la souveraineté populaire, de la démocratie directe (l’initiative et le référendum) furent imparables et reçurent le soutien de la bourgeoisie libérale.
Cela provoqua des tensions entre et au sein des cantons, entre les partisans du fédéralisme (Confédération) et les partisans de l’unionisme (état unitaire), les partisans des anciennes structures (ancien régime) et les groupes radicaux-libéraux et entre les cantons catholiques et protestants.
Dans cette situation compliquée, éclata une courte guerre civile (la guerre du Sonderbund) en 1847. Des cantons catholiques conservateurs sécessionnistes s’opposèrent à la plupart des autres cantons du pays qui défendirent la Confédération suisse, tandis que certains cantons restèrent neutres.
Suite à cette guerre, il a été a été procédé à une révision du Pacte fédéral de 1815, ce qui a conduit à la Constitution fédérale de 1848 adoptée par les vingt-deux cantons. Il s’agit là de la naissance de l’Etat fédéral. La Constitution fédérale a été modifiée cent-quarante fois jusqu’en 2000.
1848-2000
Chaque modification de la Constitution fédérale peut être demandée au moyen d’une initiative populaire et doit être approuvée par le peuple et les cantons lors d’une votation. La première grande révision totale de la Constitution fédérale eut lieu en 1874 (référendum populaire).
Puis en 1891 (initiative populaire), en 1918 (introduction du système du scrutin proportionnel), en 1971 (suffrage féminin), en 1979 (nouveau canton du Jura) et en 1999 intervint une autre grande révision de la Constitution fédérale, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2000.
Cependant, la plupart des modifications concernent l’attribution de nouvelles compétences au niveau fédéral en raison du nombre croissant de tâches gouvernementales (par exemple dans le domaine de l’environnement, de la sécurité sociale, de l’immigration, des transports).
Toutefois, les fondements de la Constitution fédérale de 1848 n’ont pas changé. La Suisse est un Etat de droit démocratique confédéral, hautement décentralisé, où les citoyens aux niveaux fédéral, cantonal et communal ont toujours le dernier mot et peuvent suivre les partis politiques et leurs réseaux.
Conclusion
La Confédération suisse et sa constitution émanent d’un projet ascendant (bottom-up) des cantons et du peuple, qui fait ses preuves depuis des siècles
La Suisse démontre ce qui peut être réalisé au mieux dans un pays avec quatre langues et cultures. La démocratie et la constitution suisse sont des particularités du système politique suisse comparable à nul autre, même au niveau européen.