Le coeur de la Confédération
30 juillet 2024
La Suisse a célébré sa fête nationale le 1er août. Mais le pays s’est longtemps débattu avec son hymne national, son drapeau et sa Constitution. Après un long processus d’unification qui a débuté au XIIIème siècle, la coopération lâche entre les cantons est devenue la Confoederatio Helvetica (CH) le 12 septembre 1848.
Mais le drapeau rouge à croix blanche n’a officiellement été reconnu comme symbole national qu’en 1889. L’histoire de l’hymne national est encore plus compliquée et n’est pas terminée. La date de la fête nationale est également contestée aujourd’hui. Le 1er août a été reconnu comme jour national en 1891.
L’occasion était le sept centième anniversaire du serment (mythique et au moins légendaire), le Rütlischwur, des trois premiers Orte (cantons) Uri, Unterwalden et Schwytz sur les rives du lac des Quatre-Cantons (Vierwaldstättersee).
L’ Ägerisee
La chapelle de Morgarten
L’ancienne Confédération
Légende ou mythe, la réalité est qu’en 1315, ces trois Orte ont infligé une défaite tout aussi surprenante que dévastatrice au Duc Léopold de Habsbourg (1290-1326) près de l’Ägerisee, à proximité de la ville de Morgarten (canton de Zoug). Les paysans d’une région montagneuse inhospitalière ont vaincu les chevaliers de leur seigneur.
Le village de Morgarten et ses environs. On ne sait pas exactement où la bataille a eu lieu
Ce scénario s’est répété plusieurs fois en 1386 (Sempach), 1388 (Näfels), 1415 (conquête de l’Argovie), 1460 (conquête de la Thurgovie) et contre le Duc de Bourgogne (1474-1477). Avec une Confédération (Eidgenossenschaft) de dix cantons, la guerre de Souabe s’est conclue par la paix de Bâle en 1499 et la « paix éternelle » avec les Habsbourg.
Le monument de Morgarten
Le fait est que le traité des trois Confédérés de 1291 (confirmé en 1315) était devenu une alliance entre 13 cantons souverains en 1513.
La République helvétique (1798-1803), créée par Napoléon après la conquête de l’ancienne Confédération, a mis fin à cette situation. La nouvelle Confédération (1803-1813), également créée par Napoléon par l’Acte de Méditation, a reconnu les nouveaux cantons de Vaud (francophone) et du Tessin (italophone), ainsi que les langues française et italienne à côté de l’allemand comme langues officielles du pays.
Les autres nouveaux cantons (germanophones) sont Saint-Gall, les Grisons (à l’époque encore largement de langue romanche, avec quatre vallées italophones), la Thurgovie et l’Argovie.
La nouvelle Confédération de 1815, après la défaite de la France, s’est encore élargie pour inclure les cantons francophones de Neuchâtel et de Genève et le canton franco-allemand du Valais/Wallis. Le canton francophone du Jura n’a vu le jour qu’en 1979.
La nouvelle Confédération de 1815, après la défaite de la France, s’est élargie pour inclure les cantons francophones de Neuchâtel et de Genève et le canton franco-allemand de Valais/Wallis. Le canton francophone du Jura n’a vu le jour qu’en 1979.
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Image: l’Office fédéral de la statistique
Un système politique compliqué et durable
Cette genèse séculaire entre des régions linguistiques et des cantons culturellement, religieusement, politiquement et économiquement si différents est une sorte d’Union européenne avant la lettre. Mais personne n’avait prévu la Confédération de 1848 en 1291, 1440 (la Guerre de Zurich), 1513, 1648 ou même 1798.
Johann Martin Veith (1650-1717), Allégorie de la foi protestante, 1698. En 1698, six cantons protestants se réunissent à Schaffhouse pour former leur propre Diète. La foi protestante à gauche, à droite la foi catholique. Collection: Musée national Zurich
La Réforme a également divisé l’ancienne Confédération de 13 cantons après 1525. Cantons catholiques contre cantons protestants et discorde religieuse dans les cantons, les villes et les villages. Certains conflits armés – les guerres de Kappel (Kappelerkriege) en 1529 et 1531, les guerres de Villmergen (Villmergerkriege) en 1656 et 1712 et la guerre de Sonderbund en 1847 en ont résulté.
Kappel (canton de Soleure)
Villmergen (canton d´Argovie), le monument des guerres de Villmergen
Les Troubles des Grisons (die Bünder Wirren, 1619-1639) étaient aussi une guerre (civile) religieuse et une lutte de pouvoir entre les grandes puissances à l’époque (la France, l’Espagne, l’Autriche et Venise) de la guerre de Trente Ans (1618-1648). Toutefois, ces conflits militaires n’étaient rien en comparaison des guerres (civiles) dans d’autres régions jusqu’en 1798.
En fait, l’ancienne Confédération était une oasis de paix et de neutralité au milieu de l’Europe. Les conflits religieux étaient le plus souvent réglés démocratiquement par les citoyens: les églises étaient parfois partagées par les protestants et les catholiques (Simultaneum) et le canton Appenzell fut même divisé en un canton catholique (Appenzell Rhodes-Intérieures) et un canton protestant (Appenzell Rhodes-Extérieures).
Simultaneaum à Sta. Maria (Val Müstair, canton des Grisons)
Il n’y avait pas encore de démocratie au sens actuel du terme, mais dans sept cantons ainsi que dans le pays allié (zugewandter Ort) des Grisons, les citoyens masculins âgés de 14 ou 16 ans décidaient de la politique, de la guerre ou de la paix et de la nomination des postes clés de la Landsgemeinde. Les cantons urbains (Berne, Soleure, Zurich, Schaffhouse, Lucerne, Bâle et Fribourg) disposaient d’une structure oligarchique ou basée sur des guildes, mais là encore, il n’y avait pas de dynastie ni un seul individu dominant.
Les citoyens avaient beaucoup plus leur mot à dire que dans le reste de l’Europe. Mais là encore, les juifs, les femmes et les non-citoyens étaient exclus.
Quelles que soient les divisions entre les cantons, la Confédération a tenu bon grâce au compromis, au pragmatisme, à la recherche du réalisable et du dialogue. Ces siècles de coopération, d’expérience et de politique (internationale) dans les bons et les mauvais temps, ainsi que l’implication et la participation des citoyens dans leur société, caractérisent toujours la Suisse.
Le système de milice dans la politique, l’administration, l’armée et les nombreuses sociétés (Genossenschaften, Gesellschaften), associations et autres organisations, pour la plupart séculaires, en sont l’expression.
Même si ces traditions peuvent également favoriser la rigidité, la particularité de la Suisse est précisément de s’adapter et de se moderniser tout en conservant ses traditions. Certes, cela prend parfois du temps, mais on ne jette pas le bébé avec l’eau du bain.
Un creuset, un miracle d’intégration, le Schwyzertütsch et le patois suisse
La Suisse est aussi un creuset, un vrai « melting pot » depuis des siècles. Beaucoup de nouveaux immigrants possèdent le passeport suisse aujourd’hui. En outre, de nombreux Suisses immigrent ou émigrent dans d’autres cantons, mais plus de 25 % de ses habitants sont encore des immigrés sans passeport suisse
Le plus grand obstacle à l’intégration est peut-être le suisse allemand, le dialecte local qui est la langue de communication. Pour les Suisses francophones ou italophones qui ont appris le Hochdeutsch, il s’agit souvent d’un obstacle, voire d’une frustration, dans la communication ou dans les débats politiques et publiques. Mais jusqu’au 19ème siècle, la Suisse romande était aussi une région de dialectes aussi: les patois de la Suisse!
(Voire aussi Andres Kristol, Histoire linguistique de la Suisse romande, Neuchâtel, 2023).
L’intégration
Un grand nombre de résidents n’a pas un passeport suisse. Il faut adapter le système, mais le passeport suisse et la citoyenneté se méritent et ne sont pas un droit seulement basé sur 5 ou 10 ans de résidence ou sur le paiement d’impôts. En tant que souverain, le citoyen a un grand pouvoir politique ainsi que des devoirs envers la société aux niveaux communal, cantonal et national. Cela découle également de l’importance séculaire de la citoyenneté d’une commune ou d’un canton.
Conclusion
L’échelle humaine est (encore) déterminante en Suisse. La structure fédérale et décentralisée du pays, et donc les bureaucraties relativement petites et accessibles au niveau local, la démocratie directe ainsi que l’implication et le respect de (la plupart) des citoyens pour leur environnement sont des facteurs importants. En outre, l’excellent enseignement professionnel et les bons services publics et sociaux jouent un rôle.
Le pays n’est pas un paradis, ni une île, et connaît tous les problèmes des autres pays européens. La Suisse n’a pas de modèle à suivre et ses décisions sont parfois difficiles à comprendre pour l’étranger (le débat actuel sur la neutralité, par exemple). Cependant, sa trajectoire à long terme mérite de l’attention, du respect et de l’appréciation’.
La Suisse n’est peut-être pas le pays le plus heureux au monde, mais la population est au coeur de la société. Le grand historien anglais Edward Gibbon (1737-1794), admirateur de l’ancienne confédération, lui a consacré en 1767 un livre intitulé Introduction à l’histoire Générale de la République des Suisses (Die Freiheit der Schweizer, Zurich 2015).
Il en est toujours ainsi. Et cela se voit dans la célébration discrète, élégante et festive de la fête nationale, le 1er août, avec toujours une touche locale. Après tout, les cantons et leurs citoyens dans les communes en sont les souverains. La société et les nombreux nouveaux arrivants en profitent dans ce pays et sa nature merveilleuse.
Bâle. le 1er août sur la Mittlere Brücke